lundi 19 décembre 2011

Un beau nuage


Une internaute (merci Marie-Alice) m'a envoyé ce nuage de mots, composé avec un petit logiciel qui permet de produire, à partir d'un texte donné, les mots y revenant le plus souvent.

Les mots de l'illustration sont ceux du blog durant le mois de décembre. En grossissant l'image (il suffit de cliquer dessus), nous pouvons y retrouver les occurences les plus fréquentes dans PsychoActif. Il me semble que c'est une peinture assez ressemblante de l'ambiance qui règne dans les billets.

Je vous laisse regarder cela de plus près (du moins si ça vous intéresse !) et je vous souhaite de belles fêtes de fin d'année : PsychoActif part en vacances, et nous nous retrouverons, je l'espère, en janvier 2012.

Portez-vous bien.

vendredi 16 décembre 2011

Hier, ça m’est arrivé


Ça faisait un moment que je m’y attendais, je me demandais quand ça allait m’arriver en vrai, pendant une consultation. Voilà, ça y est ! C'est arrivé !

Un de mes patients a répondu à un appel sur son téléphone portable, pendant un premier entretien dans mon bureau de Sainte-Anne.

Depuis quelques années, j’avais bien repéré que les étudiants, pendant les cours, ne se sentaient plus du tout gênés de recevoir ou d’envoyer des SMS, s’étonnant sincèrement que je m’arrête de parler et reste debout face à eux en silence pour montrer ma désapprobation lorsqu’ils le faisaient.

J’avais bien noté aussi que lors de conférences, un certain nombre de personnes n’hésitaient pas à décrocher et à répondre pendant que je parlais, en se penchant et à voix basse, certes, mais quand même, assez tranquilles.

Et là, voilà que ce patient, très sympa au demeurant, et ayant fait preuve jusque là de « bonnes manières », comme on disait autrefois, entend son portable sonner, me dit « excusez-moi », décroche calmement et explique à son interlocuteur que non, là il ne peut pas, parce qu’il est chez un médecin, mais que oui, tout à l’heure ce sera OK, non, pas avant midi car il a d’autres trucs, oui, voilà, vers 13 heures, ce sera parfait, oui, oui, 13 heures, c’est ça, comment ? non, non, tout va bien, rien de grave, non, non, la santé est bonne, ne t’inquiète pas, OK, allez, ciao, la bise, à tout à l’heure…

Je suis fasciné par le spectacle de son calme et son absence totale de gêne : il ne me regarde plus, je n’existe plus, la consultation est suspendue pour quelques instants. Pas bien longtemps, effectivement, moins d’une minute, pas grand-chose. Mais ça fait drôle. Comme toutes les premières fois qu'un truc vraiment inhabituel nous arrive.

Quand il raccroche, il me dit : « excusez-moi ; j’en étais où ? » et reprend tranquillement.

Je lui demande tout de même : « vous faites souvent ça, de décrocher pendant un entretien avec quelqu’un d’autre ? »

Et à ce moment, je vois à son regard qu’il réalise que ça m’a plutôt étonné et dérangé. Il s’excuse à nouveau, et même, en signe de respect et de contrition, me dit : « vous avez raison, je vais le mettre en silencieux. » Apparemment, il n’attendait pas d’appel urgent, mais fonctionne ainsi de manière habituelle ; pour lui, une consultation médicale n’a rien d’exceptionnel, alors on peut y téléphoner tranquillement.

Nous passons à autre chose, mais c’est pour moi un grand moment : je fonctionne sur un mode exactement inverse. Je suis convaincu qu’il y a des moments dans la vie où on ne sacrifie pas les vrais échanges avec de vrais humains aux communications téléphoniques : pendant les repas avec famille ou amis, quand on joue avec ses enfants, quand on marche dans la nature, quand on est chez le médecin…

Mais ce sont apparemment des codes dépassés, et sans doute liés à mon âge. Je vais continuer de mon mieux à entraver ces comportements autour de moi, mais à mon avis, c’est déjà perdu.

Ces dépendances digitales ne me mettent même pas en colère, ni ne me scandalisent. Je ressens juste de la perplexité et un peu d’inquiétude.

À quoi ressembleront les consultations médicales dans 10 ans ?

Illustration : la publicité "Aujourd'hui je l'ai fait", qui m'avait bien fait rire à l'époque...

PS : du coup, je me suis bien sûr posé la question pour moi-même ; globalement, je ne réponds jamais ou rarissimement à mon portable pendant un entretien ; par contre, je répond à la ligne qui me relie aux infirmières, en cas de problème urgent : mais je n'aime pas, et si un patient a "subi" 2 coups de fils, je décroche la ligne (en cas de vraie urgence, je sais que les infirmières viendront toquer à ma porte).

mercredi 14 décembre 2011

Divorce médical


Une de mes collègues, médecin généraliste, me racontait l’autre jour cette petite histoire.

C’était avec un de ses patients au caractère difficile, rouspétant souvent, n’écoutant pas assez ses recommandations d’hygiène de vie.

Un jour, agacée ou même exaspérée, elle lui propose (en s'efforçant de le dire aussi calmement que possible) une séparation : «Écoutez, nous avons souvent du mal à nous entendre, si vous voulez, vous pouvez essayer un autre médecin…»

Le patient s’arrête de râler, interloqué. Il garde le silence un instant. Puis, calmé par l’imminence d’une séparation, il répond : «Non docteur, je ne veux pas divorcer !»

Et ils éclatent de rire tous les deux.

Elle me disait que, depuis ce jour, il s'était mis à faire davantage d’efforts au sein de son «couple» médical. Étrange, ce besoin que nous avons parfois besoin de nous faire remonter les bretelles pour procéder à de petits ajustements dans nos vies...

Illustration : un médecin de jadis se rendant au chevet d'un patient malade de la peste (avec la baguette pour le palper sans le toucher, et le masque pour ne pas respirer ce qu'on nommait ses "miasmes"). C'était déjà mieux que ne pas y aller du tout...

lundi 12 décembre 2011

Mantras pour le soin de soi


Un dimanche matin où je m'étais réveillé un peu trop tôt, le cerveau inquiet souffrant sous l’assaut des pensées autour de toutes les « choses à faire » dans mon travail et à la maison, je me suis mis à respirer doucement, dans un double mouvement de lâcher prise et d'auto-compassion.

Deux ou trois phrases simples me servaient de bouées de sauvetage pour éviter la noyade dans les ruminations. Deux ou trois petits mantras pour le soin de soi.

Il y avait : "Commence par respirer, puis tu verras après", pour me soulager dans l'immédiat.

Ensuite : "Fais de ton mieux, et n’oublie pas d’être heureux" pour me rappeler les priorités existentielles.

Simple. Et sans garantie d'efficacité. Mais toujours mieux que lâcher la bride à l'anxiété.

Ce matin-là, ça a plutôt marché.

Je me suis rendormi un moment. Lorsque je me suis réveillé, le pic d'anxiété était passé. J'arrivais à contempler la masse des choses à faire (toujours là bien sûr, pas du tout balayées par ma respiration !) avec une inquiétude bien atténuée. Je me suis levé doucement avant tout le monde, pour méditer en pleine conscience.

Puis ma journée a commencé au calme, sans que personne autour de moi ne réalise un instant tout le boulot de nettoyage de mon cerveau auquel j'avais procédé. Enfin, il me semble...

PS 1 : le terme mantra, qui désigne une phrase mentale protectrice, vient du sanscrit manas qui signifie « esprit », et de tra, qui veut dire « protection » : un mantra est ainsi une formule destinée à la protection de notre esprit.

PS 2 : bien sûr, ces mantras marchent mieux s'ils ont été précédés d’un entraînement, dans un cadre de pleine conscience ou de psychologie positive. Ils nous servent alors d'amorce pour rappeler tous les bons réflexes travaillés et éprouvés auparavant, dans des moments plus favorables.

Illustration : le Bouddha d'Odilon Redon.

mercredi 7 décembre 2011

Perdre connaissance


« Il ne faut pas comprendre, il faut perdre connaissance. »

Paul Claudel, dans Partage de midi.

Illustration : la gare de New York en 1940.

lundi 5 décembre 2011

Amour et pleine conscience


L’autre jour, une de mes patientes méditantes arrive à sa consultation, et me dit : « Nous allons prendre quelques minutes de pleine conscience avant que je ne vous raconte ce qui m’est arrivé cette semaine ! »

Je me demande bien ce qui lui est arrivé ; à voir son visage et sa manière de me parler, je suppose qu’il s’agit plutôt de bonnes choses. Mais en tout cas, je suis ravi de cette manière de bousculer nos habitudes, et de l’occasion de savourer l’instant présent avant de nous mettre à réfléchir et travailler ensemble.

Nous sommes donc là, tous deux face-à-face et silencieux, les yeux clos, à nous centrer sur notre souffle, notre corps, à accueillir les sons, à observer ce qui va et vient en nous. Intéressant et troublant, comme toujours.

Après quelques minutes, elle interrompt notre petite séquence, et m’annonce : « Voilà, je suis heureuse. Et amoureuse. »

Et la séance se passe autour de cela. La rencontre avec son nouvel ami, comment elle l’a vécu, ses craintes (ne pas être à la hauteur, se révéler, commencer à s’engager, mais jusqu’où, etc.).
Double saveur : travailler avec elle sur un moment de vie heureux (mais déstabilisant chez elle, pour des tas de raisons propres à son histoire, car elle revient de très loin) et le faire après ce petit amorçage de pleine conscience, qui a affuté et intensifié mon écoute.

Et après son départ, je remets ça, puisque je suis lancé : avant le patient suivant, je prends quelques minutes à savourer et me réjouir pour elle.

Il y a des jours où notre boulot de psychothérapeute est ainsi, simple et agréable…

Illustration : une photo d'Henri Zerdoun, qui parle à la fois de l'état amoureux et de la pleine conscience.

vendredi 2 décembre 2011

Une pause, une vraie



C’est important de faire des pauses lorsqu’on travaille. Notre esprit a besoin de repos, tout comme notre corps.

Donc, après avoir rédigé un rapport, participé à une réunion, fait un exposé, vu un patient, il est important de s’accorder quelques minutes de pause avant de passer à la tâche suivante.

Mais il y a pause et pause.

Si dans ces instants de respiration de notre esprit, nous sautons sur notre téléphone, nous surfons sur Internet, nous regardons notre page Facebook, nous envoyons un SMS ou même nous lisons quelques pages d’une revue, nous n’avons pas fait de pause.

Nous sommes juste passés d’une activité à une autre.
D’une activité obligatoire, qu’on nomme « travailler », à une activité choisie, qu’on nomme « se détendre ».
Mais on ne se détend pas, en surfant sur Internet ou en téléphonant. On fatigue juste son cerveau autrement.

Faire une pause, une vraie pause, pour récupérer, savourer, ne plus «faire» mais «être», ce n’est pas du tout ça.

C’est s’étirer doucement, sentir son corps. C’est prendre quelques minutes pour aller marcher, dehors ou dans un couloir, en respirant doucement, en sentant sa marche se dérouler d’elle-même. C’est regarder le ciel et les nuages sans parler.

Cela, c’est vraiment se reposer, et se faire du bien.

Tout le reste, c’est juste une autre façon de s’activer…

Illustration : rapace prenant une pause, par Frédéric Richet.

mercredi 30 novembre 2011

L'instant d'après


C'est un monsieur qui médite sur le tapis du salon.
Sa femme, l'air pas du tout contente, s'approche de lui et lui dit, ou plutôt lui crie : "L'instant présent, l'instant présent..! Tu ne pourrais pas passer un peu à l'instant d'après, maintenant !?!"
(traduction libre)

Illustration extraite de la revue New Yorker.

lundi 28 novembre 2011

Une belle jeune femme de vingt-deux ans


« Il s’agit d’être une belle jeune femme de vingt-deux ans. Tout concourt en ce monde à faire de cet état un idéal. Notre bonheur varie en fonction de la distance qui nous en sépare. Pour moi, homme âgé de quarante-six ans, j’en suis fort éloigné, certes, mais je vis avec une femme de trente-six ans qui en est plus proche que bien d’autres, je suis père de deux fillettes qui auront un jour vingt-deux ans et ma vie sera réchauffée par leur présence alors même que, vieilli encore, je serai pour mon compte apparemment plus distant que jamais de l’objectif. Paramètres fluctuants, donc, autour de cette vérité intangible : il s’agit d’être une belle jeune femme de vingt-deux ans en ce monde pour jouir pleinement de celui-ci, sans arrangements, aménagements ni accommodements – ou, à défaut, de graviter autour de l’une de ces trop rares élues.

La belle jeune femme de vingt-deux ans n’a besoin de rien d’autre. Elle suffit. Elle se suffit. Elle peut se passer des soins, des crèmes, des traitements, des pilules nécessaires à tous les autres humains pour créer l’illusion qu’ils n’en sont pas si loin.

C’est aussi pourquoi nous écrivons, pourquoi nous bâtissons des empires, pourquoi nous battons des records, pourquoi nous touchons du clavecin : pour être aussi désirables et aussi suffisants que les belles jeunes femmes de vingt-deux ans. Peine perdue. Il eût été juste pourtant que chacun soit pourvu en naissant des mêmes chances de se parfaire en travaillant son art jusqu’à cet accomplissement : devenir une belle jeune femme de vingt-deux ans, et le rester, plutôt que de décrocher de vaines médailles, des prix Nobel et autres distinctions qui ne font que confirmer le pronostic affligeant de notre rhumatologue : c’est la fin. »


En quelques lignes de son blog, l’écrivain Éric Chevillard décrit comment notre société de consommation a manipulé et instrumentalisé les idéaux de jeunesse et de beauté, les a amplifiés, déformés, implantés et greffés dans nos esprits au point que nous ne sommes plus conscients des pressions qu'ils exercent sur nous. À moins d’un effort (ou d’une aide extérieure) de dévoilement. Tout en étant constamment hantés et influencés par eux.

Leçon de psychologie et de sociologie indirecte, ironique et déstabilisante.

Voilà pourquoi et comment Chevillard est grand. Et pourquoi il faut le lire et le soutenir en achetant ses livres (pas seulement en parcourant son blog). Si on aime, bien sûr. Pour ma part, j’adore…

Illustration : un troublant tableau de François Clouet, La Lettre d'amour, à voir à Madrid.

jeudi 24 novembre 2011

Intelligence


"Intelligence : faculté de reconnaître sa sottise."
Paul Valéry

Illustration : vu dans une vitrine à Paris (merci à Pauline).

mercredi 23 novembre 2011

Forêt et panneaux indicateurs (suite)


Pour compléter notre discussion de lundi sur le besoin de panneaux indicateurs même dans les bois...
À la fin, c'est toujours la nature qui l'emporte sur les panneaux, toujours les brins d'herbe qui arrivent à repousser au milieu du béton.
C'et étrange comme ça me fait du bien de penser ça, moi qui ne suis ni un arbre ni un brin d'herbe.
Du moins pas encore.

Illustration : photo envoyée par mon ami Frédéric, à consulter sur son blog à la rubrique "Insolites".

lundi 21 novembre 2011

Visite guidée


Ça s'est passé un dimanche d'automne, dans une forêt près de Paris (je ne m'imaginais pas, en venant habiter à Paris, qu'il y en avait autant en Ile-de-France).

Une famille avec un papa très en colère passe non loin de moi. Il rouspète : "Ils font chier ! Non, mais ils font chier ! Ils n'ont même pas mis de panneaux indicateurs !"
Il est scandalisé de ne pas trouver à chaque bifurcation un panneau pour l'aider à retrouver son chemin. Derrière lui, femme et enfants suivent, avec l'air agacé et résigné de ceux qui ont l'habitude de telles crises.

Le temps que je réalise que je peux peut-être les aider à retrouver leur direction, ils se sont engagés sur un sentier, même sans panneau. Je ne leur cours pas après, en me disant qu'ils ne risquent pas de se perdre, qu'ils vont bientôt retrouver un gros chemin ; et un peu agacé aussi par les rouspétances du papa.

Davantage de panneaux indicateurs dans la forêt ?
Je ne suis pas sûr que ce soit une bonne idée. Mais je vois bien que nous avons tous de plus en plus souvent ce genre d'attentes. Nous détestons nous perdre. C'est vrai que c'est casse-pied parfois : je me souviens de quelques randonnées dans les Pyrénées où je pestais comme le monsieur, complètement perdu entre deux vallées ; à ce moment, j'en aurais bien voulu, des panneaux de direction, ou au moins un petit marquage de GR !

Mais la vie sera devenue très étrange le jour où ne nous perdrons plus du tout, nulle part, parce que tout sera balisé, sur le terrain ou sur nos GPS de poche.
Nos existences se dérouleront sur le rythme des visites guidées : pas de surprises et pas de lenteurs.
Il ne me tarde pas...

Illustration : Pyrénées (le col du Chioula) par Frédéric Richet.

vendredi 18 novembre 2011

Pleine conscience spontanée


C’est drôle la vie.

Beaucoup d’entre nous aspirons à mettre notre esprit un peu plus au repos, notre cerveau un peu plus au calme. Ceux qui méditent s’efforcent par exemple de préserver ou de créer dans leurs journées des espaces de pleine conscience. Beaucoup d’autres aiment se consacrer à un sport ou un loisir dans ce but.

Et puis certaines personnes n’aiment pas ça, voire en ont peur.

L’autre jour, une de mes patientes, grande anxieuse, me racontait qu’elle avait eu plusieurs moments d’inquiétude parce qu’elle n’avait plus eu de pensées pendant de longues minutes :

« Par exemple dans les trajets en métro, je me suis aperçue que je pouvais passer plusieurs stations sans penser à rien du tout ! Alors que ça ne m’arrivait jamais avant ! Ça m’a fait drôlement peur ! Est-ce que ce n’est pas mon cerveau qui vieillit ? Ça ne peut pas être un signe d’Alzheimer ? »

Effectivement, son état psychique de base est plutôt le tumulte habituel des cerveaux anxieux : anticipations, ruminations, planifications, observation et lecture mentale de tous les panneaux publicitaires rencontrés, etc…

Je lui ai expliqué que ça me paraissait plutôt une bonne chose, cette survenue d’espaces de simple présence au monde, dégagés de toute mentalisation. Que ça n'avait rien à voir avec un Alzheimer, au contraire, et c’était un bon signe chez elle, qui a toujours eu du mal à accepter de se poser, de ne rien faire. Par peur évidemment de passer à côté de sa vie.

Alors que c’est tout le contraire : la vie c’est aussi – et peut-être surtout - intensément ressentir et habiter l’instant présent…

Illustration : "Le pont sous la pluie", une photo d'Henri Zerdoun. S'arrêter pour observer et ressentir le temps qui passe...

mercredi 16 novembre 2011

Anonymat



La semaine dernière, j’ai été confronté à deux reprises à des gestes de gentillesse anonymes.

Le premier était une grande carte postale, reproduisant le Jardin de Vétheuil de Claude Monet ; une lectrice qui signait Georgette, suivi de son nom et du nom de sa ville (en Suisse) me remerciait avec beaucoup de gentillesse de l’aide que lui avait apporté mon livre sur Les États d’âme. Mais elle ne me laissait pas son adresse.

Le second était une enveloppe posée sur la table où je venais de dédicacer mes livres, lors de la soirée de discussion avec Matthieu Ricard, le 8 novembre dernier. Je ne me suis aperçu de sa présence qu’une fois tout le monde reparti : elle était là, avec mon nom, toute prête à être oubliée. Elle contenait un CD et deux cartes postales de remerciements pour mes livres ; le CD était une compilation des morceaux de musique qui avaient accompagné depuis des années les états d’âme de cette lectrice discrète jusqu’à l’invisibilité. Là aussi, pas d’adresse, juste un prénom, Sandrine.

J’ai été à chaque fois touché par ces mots et ces gestes. Et ému par leur anonymat. Jusqu’à me sentir un peu mal à l’aise de ne pouvoir les remercier.

Je me suis demandé quelles étaient les sources de cet effacement : était-ce une sorte d’habitude de l’anonymat, un renoncement douloureux, un réflexe pris de ne pas déranger autrui ? Anonymes pour ne pas m’obliger à répondre et remercier ?

Ou une démarche de pleine humilité : juste remercier, sans attendre de retour. Une démarche de sagesse, dans la logique de l’oubli et de l’allègement de soi ? J’ai toujours été fasciné par cette démarche d’effacement de soi (dont je suis encore bien loin).

Alors je suis allé relire dans Imparfaits, libres et heureux le passage que j’avais consacré à ce vertige de l’abolition de soi (chapitre 44) :

“Lors d’une retraite que j’effectuais chez les bénédictins, je tombai un jour, dans la bibliothèque du monastère sur un drôle de livre. J’ai oublié son titre, cela devait être quelque chose comme « Cheminer vers Dieu » mais je n’en suis pas tout à fait sûr. Par contre, je n’ai pas oublié son auteur : « Un moine chartreux ».
Pas de nom d’auteur ? Je tourne le livre dans tous les sens en me disant que je finirai bien par trouver quelques informations sur cet auteur si discret. Mais non, rien de plus. Alors, un petit vertige me saisit. Tout le monde se dit modeste, mais finalement personne ne l’est véritablement, ni jusqu’au bout. Même être et se montrer modeste peut nous flatter, comme le note avec ironie Jules Renard dans son Journal : « Je m’enorgueillis de ma modestie… » Personne, ou pas grand monde, n’est véritablement prêt à renoncer à toutes ces petites miettes d’estime de soi. Le moine qui avait écrit ce livre avait réussi, lui, à mettre à distance cette gratification sociale : avoir son nom sur une couverture de livre. Moi qui ais le sentiment peut-être erroné d’être plutôt modeste, j’avoue qu’il ne m’est jamais venu à l’esprit de publier un livre portant sur la couverture la seule mention : « un psychiatre », en lieu et place de nom d’auteur.
Je me suis alors assis dans la bibliothèque déserte et silencieuse, avec le livre entre les mains, et je me suis mis à rêver sur le geste du moine chartreux (sans doute l’ordre religieux chrétien qui a poussé le plus loin les règles de solitude et de silence). À imaginer qu’il n’y avait derrière ce geste aucun souci de mortification ou de punition d’un acte d’orgueil passé, mais plutôt une intention joyeuse. Un acte facile et simple, sans doute, pour quelqu’un qui avait atteint un stade inhabituel de sagesse et de renoncement. Et derrière cet acte, j’en étais sûr, l’attente malicieuse que le petit trouble provoqué sur le lecteur serait utile à ce dernier. Les meilleures leçons sont celles de l’exemple...“

Merci à Georgette et Sandrine pour la leçon.

lundi 14 novembre 2011

Suicide




J’ai lu un jour, je ne me souviens plus où, cette définition :
« Suicide : la solution définitive à des problèmes transitoires. »

Elle est malheureusement souvent vraie. Il faut toujours commencer par résister à ses tentations suicidaires, le plus longtemps possible. Alors on arrive souvent à ce stade que Cioran décrivait avec talent et laconisme dans son Journal : « J’ai vaincu l’appétit, non l’idée du suicide. »

Belle manière de dire l’essentiel : le drame n’est pas d’avoir des idées suicidaires, mais d’y adhérer et de les écouter. Laisser passer les vagues, juste s'efforcer de surnager. Un jour, bientôt peut-être, tout sera bien...

Illustration : vagues basques (merci à Louis-Marie).

vendredi 11 novembre 2011

Donne à maman

Pas très drôles, les étiquettes d'instructions de lavage pour nos vêtements ? Sauf celle-ci...


Traduction, au cas où :

"Sinon, donnez ça à votre mère : elle sait comment faire."

mercredi 9 novembre 2011

Redevenir un bébé


C’était un jour où je portais dans mes bras, pour l’emmener se coucher, une de mes filles déjà grande, 9-10 ans :

« - Mmm, j’adorerais redevenir un bébé, qu’on me porte tout le temps, qu’on s’occupe tout le temps de moi...»
- Tu aimerais vraiment être un bébé ?
- Oh oui ! Surtout que quand tu es un bébé, tu comprends, tu n’en profites pas vraiment, parce que tu ne te rends pas compte de la chance que tu as ! »

C’est vrai que vu sous cet angle, c’est exactement la définition que je donne du bonheur : du bien-être dont on prend conscience. Sans la prise de conscience, cela reste du bien-être (ce qui n’est déjà pas mal). Avec la prise de conscience, le «simple» bien-être est transcendé en bonheur, un sentiment bien plus puissant.

Mais ne pas se rendre compte de la chance que l’on a, ce n’est pas seulement lorsqu’on est un bébé : c’est tout au long de notre vie !

Allez, au boulot les enfants !

Illustration : une belle photo de Frédéric Richet, qui me fait penser à un voyage dans le temps...

lundi 7 novembre 2011

Marc-Aurèle et la noosphère


« Si toutes les âmes demeurent après la mort, comment l’air peut-il les contenir depuis tant de siècles ? Mais je te réponds : Comment la terre peut-elle contenir tous les corps qui y sont enterrés ? Comme les corps, après avoir été quelque temps dans le sein de la terre, se changent et se dissolvent pour faire place à d’autres ; de même les âmes qui se sont retirées dans l’air, après y avoir été un certain terme, se changent, s’écoulent, s’enflamment, et sont reçues dans la raison universelle, et de cette manière elles font place à celles qui leur succèdent. Voilà ce qu’on peut répondre, en supposant que les âmes subsistent après la mort.»

Marc-Aurèle, Pensées pour moi-même, Livre IV, 22.

Pressentiment de la noosphère, et proximité intuitive avec le bouddhisme. Cet auteur me ravira et me bouleversera toujours...

vendredi 4 novembre 2011

Pas de quoi



J'ai entendu l’autre jour dans la rue, alors que j’attendais un ami, et que je m’offrais un petit moment de pleine conscience, yeux et oreilles grand ouverts, cette petite séquence :

«- Merci beaucoup.
- Mais de rien !
- Si, si, merci, quand même !
- Non, vraiment il n’y a pas de quoi…»

À ce moment, j'ai réalisé soudain que je ne dis presque jamais : «il n’y a pas de quoi» ou "de rien" mais plutôt : «avec plaisir».

Mon épouse me dit que c’est parce que je viens du Sud, et que dans le Sud on dit plus volontiers «avec plaisir» que «de rien».

Mais c’est peut-être aussi parce que ça correspond mieux à ce que je pense : ça me fait plaisir d’avoir rendu un service, même minime. Et qu’on m’en remercie me fait également plaisir .

Donc le «pas de quoi» ne me convient pas. Il y a de quoi, au contraire ! Que deux personnes soient contentes, celle qui a donné et celle qui a reçu, il me semble qu'il y a de quoi ressentir un peu de plaisir…

Illustration : "This way ? Thank you very much..." (c'est une photo de Robert Cappa, prise en Sicile en 1943)

jeudi 3 novembre 2011

Papa, il va pleuvoir à quelle heure ?


La vie moderne, c’est un drôle de truc...

L’autre jour, une de mes filles me demande : «Papa, tu as regardé la météo sur Internet ?» (je fais souvent ça pour les prévenir afin qu’elles ne partent pas habillées en dépit du temps qu’il fait ou qu’il va faire).

Je réponds : «Oui, méfie-toi, ils annoncent de la pluie dans l’après-midi, prend un imper ou un parapluie !»

Et elle : « Dans l’après-midi ? OK, mais à quelle heure exactement ?»

Et là, je comprends son problème : à force d’être bercés de bulletins météo de plus en plus précis, nous en sommes maintenant à attendre l’heure exacte de la pluie ou de l’arc-en-ciel. Et à ce moment précis, ma fille veut juste savoir si elle aura le temps d’être revenue du lycée avant la pluie, pour ne pas avoir à prendre d’imperméable (les jeunes détestent les imperméables et les manteaux, et rêvent de toujours aller dans la vie en T-shirt). Elle veut simplement savoir s'il va pleuvoir entre 17h et 18h. Et elle pense que la météo peut lui rendre ce service à la demi-heure près.

C'est drôle cette irrésistible tendance qui nous habite à toujours chercher à réduire toute part d'incertitude dans nos vies...

lllustration : Jour de pluie, par Henri Zerdoun.

lundi 31 octobre 2011

Vitesse et lenteur




Je me sens fort dans la vitesse et heureux dans la lenteur.
C'est pourquoi je préfère la lenteur…

Illustration : la couverture d'un disque mexicain : Aires de nuestros fieles defuntos. Force et bonheur comme antidotes à la peur de la mort ?

vendredi 28 octobre 2011

Humilité et changement


Par bien des aspects, notre esprit obéit aux mêmes lois que notre corps.

Lorsque nous souhaitons devenir plus souples ou plus forts, ou développer notre souffle pour pouvoir courir plus longtemps, nous savons bien qu’il ne suffit pas de le vouloir, mais qu’il va falloir travailler assidument et nous entraîner pour progresser dans ces domaines : assouplissements, musculation, courses à pied…

C’est exactement la même chose lorsque nous aspirons à être plus calmes, à mieux dormir, à ressentir moins de stress, moins de tristesses, moins d’agacements. Il va falloir le travailler au travers d’exercices réguliers. Mais lesquels ? La pleine conscience en fait partie : régulièrement s’arrêter de faire ou de se distraire pour simplement ressentir, exister, et observer l’écho du monde en nous. Mais il y a aussi le journal intime, l’examen de conscience, la modification effective et répétée de nos styles de pensée et de comportements (oser dire ce que nous pensons si nous ne le faisons jamais, oser dire des mots d’affection ou d’amour si nous n’en disons jamais, oser s’affirmer si nous ne l’osons jamais, etc.).

Et ce sera alors comme pour notre corps : car ce ne sont pas les concepts qui nous font du bien, mais leur pratique. Penser à la nourriture ne nourrit pas, penser à la marche à pied n'apaise pas : il faut manger et marcher. De même souhaiter être plus calme et plus stable ne s’obtient pas en souhaitant l’être, mais en y travaillant.

À la fin, ce sont nos actes qui nous changent : nos pensées ne font que nous conduire vers eux...

Illustration : d'abord comprendre, puis pratiquer... Une belle photo d'Henri Zerdoun, dont le blog vaut le détour.

mercredi 26 octobre 2011

La plume et l'oiseau


Paul Valéry écrivait : « Il faut être léger comme l’oiseau et non comme la plume ».

La légèreté dont nous rêvons est celle de la plume : sans efforts, liée à une nature permanente.

Mais elle nous expose à n’être que le jouet du vent.

Nous avons à construire la légèreté à laquelle nous aspirons. À la faciliter patiemment. Et nous pourrons ainsi plus souvent prendre notre envol.

lundi 24 octobre 2011

Ruminations


Ruminer, c’est se focaliser, de manière répétée, circulaire, stérile, sur les causes, les significations et les conséquences de nos problèmes, de notre situation, de notre état.
Quand on rumine, on croit réfléchir, mais on ne fait que s’embourber et s’abîmer.
La rumination amplifie nos problèmes et nos souffrances, réduit notre espace mental disponible pour tout le reste de notre vie (notamment pour les bonnes choses et les instants heureux). Et surtout, elle met en place de mauvais réflexes et de mauvaises habitudes : face à des difficultés, les ressasser, au lieu de les résoudre (même imparfaitement) ou de les tolérer en continuant malgré tout à vivre.

Pour savoir si nos réflexions sont des ruminations, il y a trois questions à nous poser :
1) Depuis que je songe à ce problème, est-ce qu’une solution est apparue ?
2) Depuis que je songe à ce problème, est-ce que je me sens mieux ?
3) Depuis que je songe à ce problème, est-ce que j’y vois plus clair, est-ce que j’ai plus de recul ?

Si la réponse (honnête !) à ces trois questions est « non », alors c’est que je ne suis pas en train de réfléchir mais de ruminer.

Dans ces cas-là, suprême humiliation, la solution ne viendra pas de mon esprit (« pense à autre chose ») mais de l’action : aller marcher, parler à un proche. M’efforcer de refermer le dossier, ou du moins, m’engager dans une autre activité pour qu’il n’y ait pas que cela à ma conscience. Ce qui aggrave la rumination : l’immobilité et la solitude. Ce qui l’entrave : le mouvement et le lien (mais attention à ne pas alors chercher les autres pour co-ruminer à deux !).

Autre solution : la méditation de pleine conscience. Accepter que mes ruminations soient présentes à mon esprit mais ne pas les laisser seules : les accompagner de la conscience de mon souffle, de mon corps, des sons, de la conscience de tout ce que je suis et de tout ce qui m’entoure. Plus compliqué que d’aller marcher. Mais plus efficace encore, à condition de s’être entraîné avant…

Illustration : de l'excellent Muzo.

PS : un internaute me fait remarquer que ce que je dis des ruminations ne s'applique pas aux obsessions que l'on rencontre dans certaines souffrances psychiatriques, comme le trouble obsessionnel compulsif (TOC) ; c'est absolument exact, merci de m'avoir rappelé de le préciser ici. Les obsessions du TOC, et les autres, nécessitent en général médicaments et techniques psychothérapiques spécifiques.

vendredi 21 octobre 2011

Sourires, larmes et rugby



Samedi dernier, en demi-finale de la Coupe du Monde de rugby, l'équipe de France a battu (de justesse) l'équipe du Pays de Galles. Après le match, il y a eu une conférence de presse. Et les visages parlaient bien plus clairement que les mots.

En haut l'entraîneur et le capitaine de l'équipe de France. Ravis. De vrais grands sourires, des yeux et de la bouche (ce qu'on nomme le "sourire de Duchenne"). Mais un peu embarrassés (voyez comment ils tortillent leurs doigts), car la victoire avait été laborieuse, et le jeu produit par les français, très médiocre.

En bas, les mêmes, mais côté gallois. Ils ont les lèvres pincées : ils sont furieux contre l'arbitre, mais se répriment pour ne pas trop le dire ; ça ne se fait pas au rugby. Le capitaine baisse les yeux, attristé et surtout culpabilisé (il s'est fait expulser pour brutalité après 20 minutes de jeu, ce qui a sans doute condamné son équipe, qui a fini le match à 14 contre 15). L'entraîneur le regarde avec un mélange de compassion et de déception, il ne sait pas s'il doit le consoler ou le réprimander. Et en fait, non, il ne le regarde même pas, il regarde dans sa direction ; trop agacé ou trop affligé...

C'est pas de la splendide commmunication non-verbale, ça ?

En tout cas, j'espère que dimanche midi, après la finale entre la Nouvelle-Zélande (les All Blacks) et la France, Lièvremont (l'entraîneur) et Dusautoir (le joueur et capitaine, toulousain) souriront toujours, même avec ce petit air embarrassé de ceux qui auraient dû ne pas gagner...

mercredi 19 octobre 2011

Gestion des conflits


« Ce n’est pas résoudre un conflit que d’aider un des adversaires à vaincre l’autre. »
Sigmund Freud

Illustration : "vous deux, là-bas, vous vous calmez tout de suite !"

mardi 18 octobre 2011

Dialogues sur la méditation


En cette fin d’année, et pour fêter la sortie de mon dernier livre, j'ai le plaisir de recevoir 3 amis pour des dialogues autour de la méditation :

- Matthieu Ricard sur le thème Méditation et Bouddhisme, le mardi 8 novembre,

- Thierry Janssen, sur le thème Méditation et Santé, le mardi 6 décembre,

- Fabrice Midal, sur le thème Méditation et Spiritualité, le mardi 13 décembre.

- Puis je conclurai le cycle tout seul, pour parler de Méditation et vie quotidienne, le mardi 20 décembre. Mais ce sera toujours un dialogue, cette fois avec la salle toute entière !

Ces rencontres auront lieu de 19h à 20h. Ça se passera dans un bel endroit, au 27 rue Jacob, à Paris : un lieu historique de l’édition française, ancien siège des éditions du Seuil, où vécut Ingres dont on peut encore voir un dessin à même le mur dans une des pièces du premier étage, et où résident actuellement les éditions des Arènes et de l’Iconoclaste (qui édite mon ouvrage Méditer jour après jour).

Vous êtes bienvenu(e)s et l’entrée est gratuite, mais mieux vaut vous inscrire au préalable, car le nombre de place est limité. Pour réserver, envoyez un mail au : info@27ruejacob.fr

Illustration : un invité est accueilli au 27 rue Jacob. D'après le tableau de Courbet "La Rencontre", à admirer au musée Fabre de Montpellier.

lundi 17 octobre 2011

Pleine inconscience


C’est mon cousin médecin généraliste dans le Sud-Ouest qui m’a envoyé l’autre jour une lettre dans laquelle figurait ce passage savoureux :

« Bravo pour ton livre sur la pleine conscience, mais tu devrais plutôt nous apprendre comment accéder à la pleine inconscience, pour le plus grand bonheur de nous autres les anxieux ! »

Je vais y réfléchir…

Illustration : un chevalier occitan endormi dans l'espérance de la résurrection, au splendide musée des Augustins, à Toulouse ; photo de Frédéric Richet.

vendredi 14 octobre 2011

Si je n’ai qu’un marteau...


Vous connaissez peut-être la phrase classique chez les psychothérapeutes (attribuée au systémicien Paul Watzlawick) : «If the only tool you have is a hammer, you tend to see every problem as a nail.» Traduction mot à mot : «Si le seul outil que vous avez est un marteau, vous tendez à voir tout problème comme un clou.» Ou encore : «Pour qui ne possède qu'un marteau, tout problème ressemble à un clou.»

Autrement dit, si nous n’y prenons pas garde, les solutions que nous tentons d’apporter à nos difficultés ou à celles de nos patients, lorsque nous sommes thérapeutes, sont plus souvent inspirées par ce que nous savons déjà faire, ou ce que nous avons déjà sous la main, que par ce que la situation elle-même nécessiterait.

Certes, ce n’est pas toujours facile de s’en rendre compte, et d’avoir la prudence de se dire (et de dire à l’autre) : « je ne suis peut-être pas la bonne personne pour résoudre ce problème », ou : « ma méthode n’est peut-être pas la meilleure », ou encore : "nous allons essayer de résoudre déjà un petit bout du problème".

Car parfois, il faut bien faire tout de même quelque chose. Alors, le tout est de le faire avec sincérité et humilité. Mais dans tous les cas, en renonçant à nos rassurantes certitudes. Et à nos rêves de disposer du marteau universel qui résoudrait tous les problèmes et soulagerait toutes les souffrances.

PS : le titre de la célèbre chanson de Claude François, c’était : «Si j’avais un marteau» ; il n’avait pas envisagé la nécessité d’une boîte à outils plus complète... Et en voici une interprétation savoureuse…

mercredi 12 octobre 2011

Entre deux abîmes


« Le passé est un abisme sans fond qui engloutit toutes les choses passagères ; et l’avenir un autre abisme qui nous est impénétrable ; l’un s’écoule continuellement dans l’autre ; l’avenir se décharge dans le passé en coulant par le présent ; nous sommes placés entre ces deux abismes et nous le sentons ; car nous sentons l’écoulement de l’avenir dans le passé ; cette sensation fait le présent au-dessus de l’abisme. »

Cette phrase de Pierre Nicole, théologien janséniste, m’a beaucoup secoué la première fois que je l’ai lue (dans le livre de Pascal Quignard, justement intitulé Abîmes). Et elle continue à chaque relecture, me rappelant cet abîme au-dessus duquel sont construites nos vies, et l’écoulement incessant du temps.

Puis, passé ce moment d’effroi, que faire ? Respirer, sourire. Prendre la douleur et la crainte. Accepter que cela soit ainsi, continuer de contempler régulièrement l’abîme. Et regarder aussi tout le reste…

Illustration : une belle image d'automne, envoyée par quelque ami dont je n'ai pas pensé à noter le nom, et que je remercie à l'aveuglette. C'est à l'automne que cette conscience de l'abîme est la plus forte en nous, bien sûr...
PS : l'ami s'est manifesté : merci Frédéric !

lundi 10 octobre 2011

Narcisssisme : 1 ou 2 ?


Un jour, une discussion avec un copain qui s’aime bien. Nous nous voyons de temps en temps, quand et seulement quand il a un service à me demander. Ça pourrait m'agacer, mais il est drôle et me fait rire, alors je le vois tout de même avec plaisir.

Lorsque nous nous quittons, comme il a changé de fournisseur d'accès Internet, il me donne son nouveau mail.
C’est (j’ai modifié, évidemment, inutile de lui écrire) : 1pierredupont@xyz.fr
Je lui demande «Pourquoi le 1 ?»

Et lui, étonné de ma réponse : «Ben, il y avait déjà un pierredupont chez ce fournisseur d’accès. Je n’allais pas mettre pierredupont2, quand même ! Tu me connais ! Alors j’ai mis le 1. Et devant en plus !»

Nous éclatons de rire. Puis, après son départ, je repense à son histoire, et je suis rétrospectivement bluffé par son aplomb : les narcissiques m'étonneront toujours..

Illustration de "1 Muzo", le plus grand le plus fort (mais pas du tout narcissique).

jeudi 6 octobre 2011

Le monde de Christina


« Si l’on ne fait que jeter un coup d’œil en passant, ce tableau dépeint une scène douce et champêtre : une jeune fille allongée dans l’herbe regarde tranquillement un groupe de bâtisses juchées en haut d’une colline.
Mais si l’on s’arrête un instant, on voit, on sent que quelque chose ne va pas : l’herbe est trop roussie, comme une steppe infernale. Quelque chose ne va pas, vraiment : la maison est trop loin, trop sombre. Les critiques d’art nous expliquent que ce malaise, dans l’esprit du spectateur, vient de la perspective quasi-impossible, puisqu’on voit la jeune fille d’en haut, et qu’on voit d’en bas les maisons sur la butte. Dans ce cas, où sommes-nous donc placés ? Et puis, la jeune fille dégage quelque chose de bizarre, elle aussi.
Alors, on la regarde de plus près, on cherche d’où vient notre sentiment de malaise… »

J’ai toujours été fasciné par ce tableau de Wyeth, que je présente, au travers des lignes qui précèdent, dans mon dernier livre. Je me souviens très bien de ce jour où je l'ai vu pour la première fois, au MOMA, lors d’un voyage à New-York alors que j’étais étudiant.

Son histoire est passionnante, et l'une des meilleures introductions à cette œuvre figure au bout de ce lien. Je ne vous en dis pas plus ici, mais je vous invite à prendre le temps de vous y rendre, pour comprendre comment tout un univers est en général dissimulé derrière une peinture.

Et il en est de même de nos vies : un regard rapide sur elles ne permet jamais de deviner tout ce que cachent les coulisses, de souffrances et d'efforts. Certains jours nous aimerions que les autres se rendent davantage compte de ce monde que nous hébergeons. Et à d'autres, nous réalisons que c'est sans doute bien mieux ainsi, que chacun de nous garde ses secrets...

mercredi 5 octobre 2011

Y a-t-il des questions dans la salle ?


L’autre jour, à un colloque, la personne qu’on nomme le « modérateur » propose au public de poser des questions aux orateurs.

Et comme c’est un modérateur expérimenté, il sait que souvent, il y a des personnes qui demandent la parole non pour poser des questions mais se lancer dans de longs monologues durant lesquels elles exposent leur propre vision de ce que viennent d’aborder les conférenciers. Et souvent la salle rouspète, car du coup, même si c’est intéressant, il ne reste plus de temps pour les autres questions. Aussi, la loi est dure, mais c’est la loi : il faut s’efforcer d’être bref.

Mais je n’avais jamais entendu dire les choses comme le fit le modérateur ce jour-là, avec humour, malice et fermeté :

« Bien, nous allons donc commencer à prendre les questions de la salle. Alors je vous rappelle ce qu’est une question : c’est bref, et ça se termine par un point d’interrogation. »

Et ce jour-là, si je me souviens bien, nous eûmes droit à de vraies (et fort intéressantes) questions…

lundi 3 octobre 2011

Drôle de dédicace…


Ça s’est passé l’autre jour, alors que je dédicaçais mon dernier livre après une conférence. Il se passe presque toujours des choses lors des dédicaces : ce sont des moments de relative intimité entre lecteur et auteur, sous la contrainte du temps, donc souvent plus intenses qu’on ne pourrait l’imaginer…
Une dame sympathique mais avec quelque chose de spécial dans le regard et la parole s’approche, et me demande de remettre mes lunettes, que j’avais enlevées pour signer : « vous les aviez pendant toute la conférence, je ne vous reconnais plus, ça me trouble ! » Ça me fait rire, alors je les remets pour lui faire plaisir. Elle est ravie, et me demande alors sa dédicace :

- "C’est pour mon fils.
- Ah, très bien. Il apprécie la psychologie ?
- Non, non, pas du tout. Mais il a plein de problèmes.
- Je vois. Il va le lire sur vos conseils ?
- Sûrement pas ! Il déteste ça. C’est pour quand je serai morte.
- Pour quand vous serez morte ?
- Oui, chez moi il y a tout un rayon de livres de psychologie que j’aime bien et que je lui léguerai. Après ma mort, il viendra chez moi récupérer mes affaires, il tombera sur ce rayon, et quand il ouvrira les livres, il verra qu’il y en beaucoup qui sont dédicacés à son prénom. Ça devrait le motiver pour qu’il se mette à travailler sur lui ; il en a besoin, mais il lui faut un choc, il fonctionne comme ça.
- Ah… Euh… Bon… C’est quoi son prénom ? »

Elle était tellement bizarre, l’histoire de cette dame, que je ne savais plus que dire ; et puis la file derrière elle était encore conséquente, ce qui est une autre motivation à ne pas faire trop long. Mais c’était la première fois qu’on me racontait quelque chose comme ça.
J’espère que la dame ne va pas mourir trop vite, et surtout que son fils n’attendra pas sa disparition pour ouvrir son premier livre de psychologie…

Illustration : tout pleins de livres dédicacés dans une belle bibliothèque...

jeudi 29 septembre 2011

Le philosophe en méditation


J'aime beaucoup ce tableau de Rembrandt. Je suis retourné le voir au Louvre, dimanche dernier ; la prochaine fois que vous y serez, cherchez-le bien, il est tout petit, oublié dans un coin, ce qui ajoute à la saveur du face-à-face avec lui.

Je l'ai choisi pour illustrer le chapitre d'introduction de mon dernier livre, car il incarne pour moi l'essence de la méditation de Pleine Conscience : cet instant où le vieil homme cesse de travailler - de réfléchir ou d'écrire - et laisse son esprit se poser dans l'instant présent. Dans la lumière incroyable d'un grand soleil d'hiver qui illumine la haute fenêtre, dans les crépitements du feu attisé par la servante, dans les sensations de son corps fatigué.
Il s'arrête, respire et prend le temps de ressentir.
Pure présence : c'est comme ça que tout commence, en matière de Pleine Conscience...

PS : pour les non-parisiens, il y a toujours la visite virtuelle et le jeu "Trouvez le philosophe en méditation" : c'est ici.

mercredi 28 septembre 2011

Mort de Louis XIII


« Le 14 mai 1643, jour de l’Ascension, passé midi, le roi Louis XIII se trouvant à l’agonie dans son lit de parade, étant entouré de sa cour, ayant perdu l’usage de la langue de son royaume, désigne avec son doigt, au père Dinet qui se tient auprès de lui et qui vient de le faire communier, l’étoffe que retient le bois qui est au pied de son lit.
Le confesseur porte son regard où le roi a fait signe.
Louis XIII penche la tête sur la gauche et regarde doucement le père Dinet avec un sourire.
Le père Dinet sourit à son tour au roi, ou au sourire du roi.
Le père Dinet est seul à comprendre, ou à feindre de comprendre, au milieu de la stupeur de tous.
Louis XIII avec une sorte d’effort lève le bras et pose le doigt sur sa bouche en signe de faire silence.
C’est le dernier geste que fit Louis XIII. Puis il râle. Puis il meurt. »

C’est dans le livre de Pascal Quignard, « Sur le jadis ». Je place Quignard tout en haut de mon panthéon d’écrivains pour tout ce qu’il y a dans ce récit. La puissance du style, l’art de restituer une ambiance dans sa vérité et son mystère. J’aime que cela semble ne servir à rien, que cela ressemble à du détail et de l’inutile. Et que cela soit tout le contraire. Sans des auteurs comme Quignard, que serait la littérature ?

lundi 26 septembre 2011

Toucher ses limites


C'était après un colloque qui avait duré toute une journée et une soirée, un beau colloque où nous avions appris plein de choses et vécu beaucoup de moments touchants. J’avais mon train pour rentrer à Paris le lendemain matin tôt, à 7h35.

L’ami qui avait organisé tout ça (avec quelques autres, tout de même) souhaitait absolument passer me prendre pour me conduire à la gare. J’avais beau refuser, lui disant qu’il était déjà assez fatigué comme ça et que je pouvais très bien prendre un taxi, il insistait tant que j’acceptais. Et puis me disait-il, comme ça on pourra bavarder encore un peu. Rendez-vous est donc pris pour le lendemain matin 7h10 devant mon hôtel.

Le lendemain, à 7h15 il n’était toujours pas là. Je lui téléphone, et tombe sur son répondeur. À 7h20, le stress monte et je commence à arpenter la rue pour essayer d’attraper au vol un taxi (trop tard pour en faire appeler un par l’hôtel). Mon ami arrive alors, très embarrassé, m’expliquant qu’il n’a pas entendu le réveil, que c’est la première fois que ça lui arrive, etc.

Je suis à la fois soulagé de son arrivée, mais aussi assez tendu car je commence à voir que c’est raté pour le train. Nous fonçons à travers la ville, et j’assiste à ce spectacle étonnant de quelqu’un qui brûle tous les feux rouges avec prudence (je sais, ça fait bizarre de le dire comme ça…) : c’est-à-dire qu’à chaque fois, il s’avance doucement, vérifie que la voie est libre, et passe. Nous ne nous parlons pas. Lui par concentration et par embarras. Moi pour ne pas le déconcentrer, vu ce qu’il est en train de faire, et aussi parce que toute mon énergie est absorbée ailleurs.

Absorbée, car durant tout le trajet, je travaille comme un fou à me calmer : repousser les vagues d’agacement contre lui (l’envie absurde et inutile de lui faire des reproches : « je t’avais bien dit que tu étais fatigué et que je pouvais prendre un taxi ! »), celles du stress (« je vais manquer mon train… ») et celles de la culpabilité (« ne te mets pas dans un état pareil pour un simple train ; et puis, il ne l’a pas fait exprès… »). Bref, silence tendu dans la voiture. Pour la conversation amicale, ce sera pour une autre fois.

Nous arrivons devant la gare à 7h33 : galopade dans les couloirs, recherche du bon quai (toujours plus dur si on est pressé et stressé), et saut dans le TGV (qui avait en fait 5 minutes de retard). Nous nous remettons enfin à parler à ce moment, avant la fermeture des portes, lui pour s’excuser, moi pour le déculpabiliser : « pas de souci, ça nous fera un bon souvenir, dont on en reparlera dans quelques années comme d’une histoire à mourir de rire : “tu te souviens quand on a traversé la ville en moins de 10 minutes“ ?! »

Dans le train, je repense à ce que je viens de vivre. J’ai beau régulièrement méditer, savoir comment on gère son stress, etc., tout ça ne m’a pas empêché de stresser et de m’agacer. Ni de ressentir de la colère contre mon copain, et de le lui montrer par ma tête et mon silence. Le mieux que j’ai pu faire c’est tenir cette colère et ce stress à distance relative, les empêcher de prendre un ascendant complet sur moi (et de lui faire des reproches inutiles).

Mais du coup, il ne me restait plus d’énergie pour tout le reste : j’aurais pu par exemple remercier mon ami des risques qu’il prenait pour son permis de conduire et le remercier durant le trajet, pour ses efforts, et non après, pour le résultat. Mais c’était trop dur. Est-ce que j’y arriverai un jour ? Je n’en ai aucune idée ; je sais juste que j’ai encore un sacré boulot avant cette étape. Inutile de faire des efforts pour rester humbles (au cas où nous serions tentés de nous voir plus forts que nous ne sommes) : la vie se charge de nous rappeler nos limites...

Illustration : même s'ils nous font parfois des drôles de coups, c'est sympa d'avoir des amis.

jeudi 22 septembre 2011

Heureux événement


Aujourd'hui, sortie de mon livre sur la méditation.

J'ai réécrit dix fois mon billet, en cherchant à dire à quel point j'étais content, et impatient d'avoir l'avis des lecteurs.
Puis j'ai cherché à moduler le truc, pour ne pas trop en faire non plus dans la jubilation et l'autocélébration.
Et à la fin, je me suis dit : "Zut, c'est comme demander à un papa d'annoncer la naissance d'un de ses enfants sans avoir l'air absolument content. Trop difficile !"

Alors je laisse tomber l'idée d'un billet de faire-part mesuré et équilibré.
Il est sorti, j'en suis ravi.
Et zou !

PS : pour une petite vidéo de présentation, ainsi qu'une session de pleine conscience sur le site de mon éditeur, cliquez ici.

mercredi 21 septembre 2011

Coup de vieux


Je me souviens, la première fois où on m'a dit "monsieur", ça m'a fait drôle. J'étais cependant préparé et entraîné, car on m'avait dit "docteur" très souvent auparavant, lorsque j'étais étudiant en médecine puis interne, et ça fait un peu le même effet.

Mais ce week-end, pour la première fois, on m'a demandé si j'avais des petits-enfants (j'achetais une Carte Famille au Louvre). Eh bien ça m'a fait encore plus drôle.

Puis je me suis dit que tout était bien : je pourrais effectivement avoir des petits-enfants. Et qu'alors, c'est normal d'accepter l'âge qui va avec. La vie est bien faite : elle nous rappelle tranquillement ce que nous oublierions volontiers.

Illustration : le bout de carton qui m'a fait prendre un coup de vieux.

lundi 19 septembre 2011

Mort de la rue


Près de chez nous, il y avait un clochard qui avait élu domicile. Un clochard à l'ancienne, enraciné dans un quartier, pas tout à fait comme les demi-anonymes qu'on appelle aujourd'hui les SDF (mais leur anonymat n'est que le symptôme de l'indifférence croissante qui règne dans la rue). Il était copain avec pas mal de commerçants, de passants, les enfants qui se rendaient à l'école le connaissaient, et le savaient inoffensif et même gentil. Je le voyais souvent en grande conversation, je connaissais des petits bouts de lui (voir le billet du 8 juin 2009). C'était un artiste à sa manière : il exposait parfois ses tableaux sur le trottoir, ou dessinait à la craie des oeuvres sur le sol. Il buvait beaucoup de bière, et titubait dès la fin de matinée, puis disparaissait dans son pauvre refuge, quelque part, je n'ai jamais su où.

Il est mort cet été, juste avant que les non-clochards ne reviennent de vacances : nous avons découvert soudain son coin de rue couvert de fleurs et d'hommages anonymes. C'était il y a trois semaines et ça dure encore : il y a toujours de petites offrandes, des petits mots, des petits bouquets ; et même, de temps en temps, une canette de sa bière préférée.

Ça se passe pour lui comme ça se passera pour nous, et pour la plupart des humains : le moment de notre vie où nous recevrons le plus de déclarations d'estime ou d'affection, c'est à notre mort.

Le collectif des Morts de la Rue a organisé ses obsèques. Double culpabilité : ne pas avoir pu y aller, ajouté à celle de ne jamais avoir pris le temps de lui parler. Juste des sourires et des petits saluts de la main...

Illustration : le petit mémorial de Jean-Yves, dit Gyl.

vendredi 16 septembre 2011

Premier baiser


Une discussion l’autre jour avec un couple de vieux amis.

Lui nous raconte comment il s’est trouvé récemment très embarrassé : rentrant chez lui un soir beaucoup plus tôt que d’habitude, il aperçoit tout à coup, dans une porte cochère de leur quartier, leur fille (15 ans) dans les bras d’un garçon.

Il décrit ce qu’il a ressenti à ce moment : «Je me suis trouvé dans un état de grand embarras, très compliqué à décrire. J’étais d’abord incroyablement gêné de la voir embrasser un garçon pour la première fois, et plus gêné encore qu’elle puisse me voir en train de la voir. J’ai donc détourné le regard, baissé la tête, et marché droit devant moi pendant dix minutes sans me retourner. Puis je me suis arrêté pour récupérer. Je ressentais un indescriptible mélange d’états d’âme : surprise, bien sûr ; gêne et inconfort d’avoir regardé la scène, même de manière fugitive ; nostalgie sans doute de réaliser à quel point tout à coup le temps avait passé ; tristesse aussi de voir que j’étais finalement détrôné et qu’il y aurait désormais d’autres hommes très importants dans sa vie… »
Bref, un très grand et très intéressant trouble : des états d’âme comme je les aime, complexes, subtils, aspirant des souvenirs de tous les coins de notre histoire.
Et son épouse rajoute alors : «Moi, ce qui m’a frappée quand tu me l’a racontée, c’est que sur le moment, ça ne t’as pas fait plaisir. Alors que pour ma part, je pense qu’à côté de tous ces états d’âme de gêne et de nostalgie, j’aurais aussi ressenti du bonheur de voir que ma fille allait découvrir l’Amour !»

Ça ne m’est pas encore arrivé d’avoir à affronter ce genre de situation. Cela aura lieu, et c'est très bien. Mais, si je pense comme la maman, je réagirai sans doute comme le papa : et finalement, je préfère savoir que voir ! Les états d’âme de parent sont ainsi plus faciles à gérer et digérer...

Image : L'Amour, de Gustav Klimt (détail).

mercredi 14 septembre 2011

Ombre et lumière

J'avais lu un jour dans un entretien accordé par la fille de Françoise Dolto au journal Le Monde, cette anecdote qui m'avait ravi : à une femme qui lui demande un jour : "Mais vous n'en avez pas assez, d'être toujours dans l'ombre de votre mère ?", elle répond : "C'est drôle, je me suis toujours vécue comme étant dans sa lumière."
Au lieu de nous sentir parfois écrasés par ce que nous devons, réjouissions-nous en. C'est ce qu'on appelle la gratitude.

Illustration : automne du Sud-Ouest, par l'excellent Frédéric Richet.

lundi 12 septembre 2011

Appelez-moi le patron !


C’est un monsieur, au restaurant avec des amis.
Tout semble bien se passer, il est souriant, termine chaque plat, ne laisse pas une miette dans son assiette. Mais à la fin du repas, il fait signe au serveur et lui dit : «appelez-moi le patron, s’il vous plaît !».
Le serveur inquiet revient avec son patron, qui se demande ce qui a bien pu mécontenter ce client. Alors le monsieur reprend son air ravi et lui dit : «Patron, je voulais vous féliciter ! Le repas était délicieux et le service parfait !»

Pourquoi ne faisons-nous pas ça plus souvent ?

En général lorsqu’un client réclame de parler au patron, c’est plus souvent pour rouspéter que pour le féliciter. Tout comme quand un supérieur hiérarchique convoque un collaborateur pour un entretien imprévu : c’est rarement pour lui dire qu’il est content de lui et que tout va bien. Ou quand des parents organisent une « mise au point » avec un de leurs enfants ados...

Des « mises au point positives », c’est sacrément marquant ; motivant et efficace, non ?

PS : toute ma gratitude à mon ami Patrick Légeron, le monsieur de l'histoire...

vendredi 9 septembre 2011

Épitaphe


Quand le poète Jean Passerat (1534-1602), enseignant titulaire de la chaire d'éloquence au collège des Lecteurs royaux, sentit venir la mort, il composa son épitaphe, pleine d’une confiance tranquille et touchante sur l’attente de la résurrection :

« Jean Passerat ici sommeille,
Attendant que l’Ange l’éveille :
Et croit qu’il se réveillera
Quand la trompette sonnera. »


J’aimerai avoir confiance, aussi fort que Jean Passerat, quand je m’endormirai pour le Grand Sommeil. On appelle ça la foi du charbonnier ; allez savoir pourquoi...
Souvent on la moque comme un manque d’intelligence ou de discernement, comme le fit Georges Brassens dans sa chanson "Le mécréant" :

« J'voudrais avoir la foi, la foi d'mon charbonnier,
Qu'est heureux comme un pape et con comme un panier. »


Mais (malgré mon affection et mon admiration pour le bon Georges) ces moqueries ne m’impressionnent pas. Je n’arrive pas à voir les personnes dont la foi est inébranblable comme des personnes à qui il manquerait quelque chose (de l’intelligence). Je les vois plutôt comme des personnes qui ont quelque chose de plus que les autres...

Illustration : La Résurrection de Luca Signorelli, à Orvieto.

jeudi 8 septembre 2011

Toujours la même chose

« D’une manière générale, il est vrai que les sages de tous les temps ont toujours dit la même chose, et les sots, c’est-à-dire l’immense majorité de tous les temps, ont toujours fait la même chose, à savoir le contraire, et il en sera toujours ainsi. »

Schopenhauer, Aphorismes sur la sagesse dans la vie et au golf.

PS : la citation est bien sûr authentique (sauf le golf...). Et je me sens moi-même plus souvent sot que sage (hélas...).

mercredi 7 septembre 2011

Golf


Je ne joue pas au golf (et je le regrette).

Mais l'autre jour, un de mes patients, très gentiment, m'a offert un livre sur ce sport très psychologique. En l'ouvrant au hasard le soir-même, je tombe sur ces phrases, banales finalement, mais qui m'accrochent tout de suite :

"Les meilleurs golfeurs s'efforcent de limiter le nombre d'erreurs qu'ils commettent, mais ils ne s'attendent pas à les éliminer. Ils comprennent qu'il est plus important de bien réagir aux erreurs qu'ils commettront inévitablement."

Pourquoi ces remarques me touchent ainsi, alors que je ne suis pas golfeur ?
Justement parce que je ne joue pas au golf !
Et que ça m'a plu d'entrevoir que cela s'applique aussi à la vie en général : s'efforcer de ne pas commettre trop d'erreurs ; mais pas au point de se crisper, ce qui nous en ferait commettre encore plus ; les accepter lorsqu'elles arrivent ; et plutôt s'attacher alors à ne pas les laisser nous parasiter pour la suite du parcours...

J'ai envie de me mettre au golf, tiens...

PS : j'oubliais un détail capital : le livre s'appelle "Jouer au golf. Sans viser la perfection". Ça ne pouvait que me plaire.

Illustrations : en haut, moi bientôt ; en bas, le livre.

lundi 5 septembre 2011

Les conseils de Fontenelle pour se faire des amis


Le philosophe et académicien Fontenelle, un jour qu’on lui demandait par quel moyen il s’était fait tant d’amis, et pas un ennemi, répondit : « Par ces deux axiomes : tout est possible et tout le monde a raison. »
Cela ressemble à une prudente forme de diplomatie, voire à une dérobade et un renoncement à porter (et surtout émettre) un avis sur autrui.
Mais on peut aussi y voir une sorte de sagesse, et une philosophie de vie : toujours commencer par la bienveillance et la tolérance, avant de prétendre juger et trancher.
Car certains jours, je pense comme Fontenelle : souvent, tout est effectivement possible, et tout le monde a un peu raison !
En tout cas, c’est une position existentielle qui a permis à Bernard Le Bouyer de Fontenelle de vivre centenaire, ce qui, à son époque (il est mort en 1757) n’était pas une mince performance. Quant on vous dit que les émotions positives et le lien social, c’est bon pour la santé !

vendredi 2 septembre 2011

David


Quand j’ai compris que David allait mourir, le jour de la fête donnée pour ce qui allait s’avérer son dernier anniversaire, je suis sorti m’isoler et pleurer. Bouleversé à la fois par ce qui lui arrivait, et par son courage. Perturbé aussi parce que depuis un an, je me persuadais naïvement qu’il allait à nouveau réussir à repousser le cancer, et s’en sortir. Je me disais : « s’il y a bien quelqu’un qui peut y arriver, c’est lui ».

Quand ses frères ont envoyé au cercle des ses proches et amis le message de sa fin prochaine, quand son oncle Jean-Louis Servan-Schreiber m’en a prévenu, j’ai eu à nouveau besoin de me mettre à l’écart pour pleurer la perte d’un ami et d’un modèle.

Maintenant, je me dis qu’il ne faut plus pleurer mais me réjouir : que David ait existé, qu’il ait eu une vie intense et pleine, et qu’il nous ait tant aidés.

Je me dis aussi qu’il faut veiller à faire vivre son héritage. À sa manière, douce et déterminée, David a mené une « révolution de velours » dans le monde de la médecine et de la psychologie : il a implanté très solidement dans nos esprits de soignants et de patients le fait qu’on peut, par des moyens simples et écologiques, contribuer à renforcer sa santé et sa capacité à lutter contre la maladie, qu’elle soit cancéreuse ou dépressive.

Son message a été immédiatement entendu par les patients, qui ne s’y sont pas trompés, pour des raisons évidentes : 1) David connaissait mieux que quiconque l’état des recherches scientifiques dans le domaine des oméga-3, ou des liens entre aliments et cancer, 2) il savait faire passer ses messages avec douceur et respect, sans agresser ni culpabiliser, 3) il était lui-même un modèle, qui avait traversé les mêmes souffrances que ses lecteurs, et qui vivait en accord avec ses messages et ses principes.

J’ai souvent eu à prendre sa défense devant des confrères ou des amis, qui le critiquaient, en général pour de bien mauvaises raisons (il n’est jamais simple d’avoir du succès). Mes arguments portaient immédiatement sur cette cohérence : David faisait du vélo, mangeait ce qu’il préconisait, était attentif à sa ration d’oméga-3, s’attachait à son équilibre émotionnel, etc. Son seul manquement à ces principes de santé fut celui du stress : il s’est dépensé, et à mon avis épuisé, à promouvoir ses idées. Il avait le sentiment qu’il était protégé, puisqu’il s’agissait de « stress positif », c’est à dire d’activités fatigantes mais gratifiantes. Mais non : le succès et la reconnaissance ne suppriment pas l’usure ni le stress ; au mieux, ils les allègent, au pire ils les masquent.

Nous parlions souvent de cela avec David. C’était toujours merveilleux d’avoir du temps pour déjeuner ou bavarder avec lui : nous discutions des dernières publications de la recherche, de nos travaux d’écriture et de l’accueil fait à nos livres, nous parlions de nos vies, nous échangions nos trucs en matière d’équilibre personnel. David avait une manière unique de s’intéresser à autrui, et de toujours chercher à l’aider et le conseiller concrètement. Il me manque terriblement.

Le jour où il est mort, il m’est arrivé une petite histoire un peu étrange, comme souvent dans ces moments. J’étais en train de regarder un lever de soleil à l’autre bout du monde, tout seul dans le calme de l’aube, en compagnie de quelques écureuils. Je savais qu’il était en fin de vie. J’ai pensé à lui lorsque le soleil est apparu. Et lorsqu’il a disparu, très vite, derrière des nuages bas, j’ai eu le pressentiment qu’à cet instant peut-être mon ami David nous avait quitté. Comme d’habitude, il va savoir avant nous ce qu’il y a à savoir, là-bas, de l’autre côté. Il me tarde d’avoir de ses nouvelles.

PS : ce texte est disponible sur le site psychologies.com, en compagnie de nombreux autres hommages.